frater.jpg (7109 octets)            Association  Fraternité  Saigon  -  Cholon  (Bác Aí)

 

Bulletin N° 26
Février 2004

 

Mes Chers Amis,

Comme chaque année nous nous retrouvons pour regarder s’éloigner un des douze animaux du calendrier chinois et fêter l’arrivée du suivant. Ainsi nous disons « Adieu -  ou plutôt – « au revoir » à la Chèvre pour saluer la venue du Singe. Le passage des 12 mois écoulés au nouveau cycle des 12 mois est toujours par tradition l’occasion d’un bilan sur le proche passé et de souhaits, voire de prophéties pour l’avenir. Si je relis les éditoriaux des années écoulées, le bilan pourrait être presque recopié avec juste quelques variantes, mais un fond qui ne change guère ; la canicule qui a accéléré la disparition de personnes âgées, puis la guerre d’Irak, la deuxième en 10 ans ; mais quel statisticien nous dira combien d’années la planète fut sans aucune guerre durant les mille dernières écoulées. Pour ce qui concerne l’arrivée du Singe, tous ceux qui furent au Vietnam en 1968 se souviennent du Mau Than. Encore ne faut-il pas tirer des conclusions prophétiques pessimistes car le Singe ne fait pas que des grimaces. Je me garderai d’ailleurs de le rendre responsable,  de la sécheresse, des inondations, de la vache folle, de la légionellose et de toutes nos pauvres misères qui ne deviennent vraiment catastrophiques que « grâce » à nos médias dans lesquelles elles occupent le meilleur « créneau ». Ouvrez votre poste vous apprenez le décès de la 50ème victime de la légionellose et toute la journée vous allez l’entendre répéter à la télévision et à la radio. Etonnez vous en vous promenant dans votre cuisine et votre salle de bain, de vous sentir  mal à l’aise en regardant les tuyaux qui risquent de véhiculer ce germe hideux qui va vous envoyer à l’hôpital, voire au cimetière.


Pendant des siècles l’homme a redouté la peste, le choléra, la lèpre dont peu mouraient d’ailleurs sauf épidémie soudaine et catastrophique. Aujourd’hui grâce à la médecine préventive, on vit plus vieux certes – sans savoir si c’est un plus ou un moins – puisque nous ne pourrons comparer la qualité de cette vie que lorsque nous aurons goûté à l’autre … Mais surtout nous vivons dans la crainte plus ou moins consciente d’être atteints par tous ces microbes, virus, germes divers que la science ne cesse de découvrir et dont elle finit par meubler notre cerveau. En se perfectionnant la médecine avec ses examens, ses analyses, sa diététique a créé une obsession qui frise la psychose et touche même les biens portants. Combien étaient heureux Mathusalem, Noé, Abraham et tous nos prédécesseurs de n’avoir jamais à se poser la question du taux de leur cholestérol. Aujourd’hui cette interrogation permanente sur notre santé glisse doucement vers la recherche de la maladie que l’on croit avoir ou que l’on va sûrement contracter. On s’interroge sur les grands noms de la médecine, on consulte d’abord son généraliste, dans lequel on a d’ailleurs « pas tout à fait confiance », pour passer chez un spécialiste. Il faut 2 mois pour obtenir un rendez-vous ; en 8 semaines, le mal s’aggrave dans
votre tête, et le choc est d’autant plus dur à supporter qu’au jour tant attendu le praticien vous déclare que vous n’avez rien … La conclusion est qu’il est nul !!!! … On en cherche un autre !!! Si l’on est retraité et que l’on a donc «théoriquement » tout son temps, cela devient une occupation. Avez-vous une amie de votre âge (ou plutôt « du mien ») qui vous rend visite, à peine assise, elle vous demande de compatir à ses problèmes de chevilles et lentement en 30 minutes, on passe de chevilles aux genoux, aux cuisses et quand on aborde le bassin, votre hôtesse devient intarissable : les hanches, la sciatique, le lumbago, le foie, les reins, puis après une irruption dans l’estomac et les poumons, une escapade dans le cœur et les artères, nous arrivons après trois quarts d’heures à la tête ; avec de la chance en un quart d’heure la gorge, les oreilles, les yeux et le nez sont expédiés. Lorsqu’en fin elle se lève pour prendre congé, dans un grand soupir -  prolongé par le vôtre – vous ne pouvez quitter votre chaise, vous vous tâtez depuis les mollets jusqu’à la tête pour essayer de préciser ce qui fonctionne encore chez vous. Estimez vous heureux s’il s’agit d’une femme, car vous avez échappé à la conférence sur la prostate ; si c’est un ami homme,  vous n’y coupez pas.


Ces constatations « vécues » nous amènent avec la plus grande logique au « trou » de la sécurité sociale, car tout s’enchaîne, plus on est malade plus on absorbe de médicaments. Absorber est d’ailleurs tout à fait impropre, car le médecin vous ayant prescrit un traitement de 3 semaines vous fait acheter 4 bouteilles de sirop («entre autres ») ; vous allez en consommer une qui calmera votre toux et vous permettra de conserver dans votre armoire à pharmacie les 3 restantes. Deux ans après, constatant qu’elles sont périmées, vous les jetez. Qui pense au coût ? Personne, puisque c’est remboursé. Qui va se soucier d’où vient l’argent ? N’est-ce pas la fameuse et généreuse sécurité sociale, c’est-à-dire l’Etat. Mais voilà ! nous ne sommes plus sous Louis XIV (souvenez-vous : « l’Etat c’est moi »). Depuis notre chère révolution le « peuple souverain » n’est-il pas devenu l’Etat ? Or qui est le peuple souverain, sinon nous, tout le monde ? Aussi, devant les charges multiples qui pèsent sur la nation – et pas seulement la sécurité sociale – il est totalement illogique à la question « Qui va payer ? »  de répondre « l’Etat ». Essayons d’être aussi franc que les députés britanniques qui n’hésitent pas à préciser dans les lois créant des taxes ou des impôts « non pas à la charge de l’Etat » mais du « taxpayer » en un mot – totalement banni de nos textes officiels – du contribuable. Lorsque nous aurons pris conscience de ce fait, beaucoup de choses pourront commencer à changer dans notre tête d’abord et tout doucement dans nos actes et nos comportements.


Bien sûr, vous allez me reprocher d’exagérer et me prouver que mes trois bouteilles de sirop ne font qu’un tout petit trou dans la caisse ! mais il n’y a pas que notre part – à nous patients – il y a l’administration , cette catastrophe naturelle, qui fait souvent plus de dégâts que la canicule : création dans les hôpitaux d’un comité de pilotage, accompagné d’un groupe « projets », aidé par divers groupes de travail chargés de coordonner les « conseils de services », les « groupes d’expression » le tout aboutissant au conseil d’administration avant de transiter par l’agence régionale d’hospitalisation pour aboutir au ministère. Cela pour la voie montante, car après il y a la voix descendante du ministère ! Toutes ces réunions impliquant un grand nombre de personnels nécessitent au total, non des centaines, mais des milliers d’heures de travail incluses dans les fameuses 35 heures, lesquelles ont déjà déclenché une telle pénurie que l’on envisage de faire venir 45 000 infirmières importées d’Espagne ! car on n’a pas encore trouvé le moyen d’en fabriquer chez Moulinex. En attendant il faut trouver l’argent. Si l’on vous demande qui va payer, vous direz comme moi : « les autres ». Malheureusement l’Etat qui n’a pas d’oreilles et se moque d’ailleurs éperdument de votre réponse – même en démocratie – va vous adresser la facture. A partir de ce moment vous commencez à vous intéresser à la question et découvrez, grâce au rapport de la Cour des Comptes, qu’il existe des disparités de dépenses allant parfois jusqu’à 50% entre les hôpitaux. Le simple bon sens suggère qu’il y a peut-être là , en cherchant bien , la clé de la solution au problème ou en tout cas l’une des clés. Mis en appétit par votre découverte, vous pensez qu’il y a peut-être aussi une clé pour les autres « trous » ; je ne veux pas vous faire croire que la France est un gruyère bien qu’elle soit pour un certain nombre un fromage ! … Je ne parlerai pas de notre ministère des finances dont le personnel est plus nombreux que celui du même ministère aux USA (5 fois plus peuplé que la France) ; je ne ferai qu’évoquer notre ministère de l’agriculture qui, il y a 30 ans, disposait de 30 000 fonctionnaires pour 3 millions d’agriculteurs et aujourd’hui de 40 000 pour moins d’1 million de rescapés de l’agriculture. Quant au ministère des anciens combattants il occupe 6 500 fonctionnaires pour 400 000 anciens combattants en cours d’extinction lente mais certaine. J’arrive alors au ministère de l’éducation nationale que j’aime puisqu’il m’a nourri de nombreuses années et me permet de survivre dans ma retraite. Aussi étonnant que cela puisse paraître, depuis des années il reste impossible de connaître le chiffre précis de fonctionnaires de ce ministère ; à l’ère de l’informatique, on en reste à des approximations. Depuis 1997 le nombre des élèves a baissé de 150 000 alors que le personnel a subi une hausse de 132 700. Le refrain de toutes les manifestations et le but des grèves n’est-il pas « plus d’enseignants, plus de crédits » avec en sous-entendu « moins d’élèves et moins d’heures de travail ». Certes il s’agit d’une petite minorité dans laquelle la majorité des enseignants ne se retrouve pas, mais cette minorité braillarde est hélas la seule qu’exhibent les médias. Cependant, de même que l’on reconnaît les qualités d’un arbre aux fruits qu’il produit, on est obligé de constater qu’il ne suffit pas de
prescrire aux jurys d’examen de recevoir 80% des élèves au baccalauréat pour donner à ce bac les qualités qu’on en attend normalement. Pourquoi s’étonner si lors d’un concours d’agrégation de lettres modernes un candidat fait 15 fautes d’orthographe, si en 2ème année de licence de lettres, les étudiants n’ont jamais entendu parler de Du Bellay, ce dernier étant devenu depuis 1968 un fossile de la littérature française, remplacé dans beaucoup de nos facultés par Marx, Lénine et Mao Tse Tung pour les connaissances fondamentales et par Nathalie Sarraute, Boris Vian et Marguerite Duras puisque c’est avec eux qu’enfin commence notre littérature et les grands écrivains. Tous les responsables de l’éducation nationale connaissent cela mais le « dogme » reste, à savoir, que tout le monde doit suivre les cours, qu’il faut donc égaliser et aligner tout ce monde ; à force de vouloir aligner, cet alignement se fait sur les plus nuls. Les résultats sont catastrophiques mais le « dogme » est sauf.

Vous allez me dire que je ne suis ni politiquement ni intellectuellement correct. Je devrai suivre aveuglément ce que les médias essaient de me persuader sur ce que je dois penser et croire. Mais il se trouve que tout cela me rappelle trop l’époque durant laquelle le grand Adolf m’avait payé des vacances dans un camp à 50 km de Danzig en un temps et dans un pays où il n’ existait qu’un Führer et le Parti. Mais n’était-ce pas la mode à l’époque puisque chez le brave oncle Staline il n’y avait aussi que le Parti – le même que de l’autre côté - mais pas avec la même sauce. Il y avait la « pensée profonde » du génial Lénine – père spirituel du tonton Ho puis du Grand Timonier … Je sais et je le ressens souvent, j’ai l’impression d’un hérétique lorsque je me rends compte que je ne pense pas comme la télé exige que je le fasse si je veux avoir une pensée « correcte » et être « comme tout le monde ». Je me console en réalisant qu’il y a au moins un avantage aujourd’hui c’est que si l’on est montré du doigt, tourné en dérision quand on ne pense pas comme il faut, au moins nous ne risquons plus (« ou pas encore ») d’être brûlé sur un bûcher, sinon il y a longtemps que mes cendres auraient été dispersées dans un coin de l’Hexagone.

Notre société ne nous laisse plus que la liberté d’acheter et de vendre. Matraqué par des sons et des images qui nous retirent la possibilité de penser afin de pouvoir nous imposer ce que l’on veut que nous pensions, étourdis, nous en arrivons, si nous ne réagissons pas, à vivre à la surface de nous-mêmes, à marcher à côté de nous-mêmes et finalement à nous fuir. Mais en se fuyant on se perd ; aussi n’est-il pas inutile de se retrouver dans le calme, le silence et la solitude pour méditer sur la plus belle des devises que les Grecs avaient fait graver sur le temple de Delphes : « Connais-toi, toi-même »…

Parti à la conquête de l’espace l’homme est arrivé sur la Lune ; maintenant il s’apprête à débarquer sur Mars, puis après ce sera les milliers de planètes, d’étoiles, à des millions d’années lumière. Ces recherches auront englouti des milliards de dollars et autres monnaies qui suffiraient à éteindre la misère sur la terre. Quand l’homme comprendra-t-il que son orgueil ne le mène ni vers le bonheur ni vers la richesse ni vers le pouvoir mais vers un Infini dont il fait partie et dont le gène se trouve en lui, à condition de le chercher pour le découvrir.

Voilà chers amis, comme j’aime le faire avec la famille dont vous faites tous partie un bavardage qui n’est pas conçu comme un morceau de littérature mais l’épanchement du cœur débordant d’affection d’un grand-père de 80 ans.

A l’aube de cette nouvelle année je vous redis à tous combien vous me restez proche et que 2004 apporte santé, prospérité et bonheur pour vous et vos familles
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 Le Président

Michel BRUN

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