frater.jpg (7109 octets)            Association  Fraternité  Saigon  -  Cholon  (Bác Aí)

 

Bulletin N° 25
Février 2003

 

Mes chers amis,

Une fois de plus le cheval va rentrer à l'écurie alors que la chèvre s'apprête à sortir de l'étable !
De tout temps, pour ce qui concerne les époques historiques en tous cas, et dans toutes les civilisations, ce passage d'une année à l'autre a été l'occasion de festivités, d'un regard sur le temps écoulé et de prévisions, voire de prophéties sur celui à venir.

Nous n'échappons pas à la tradition en ce basculement de 2002 en 2003 dans le calendrier occidental et lors du changement d'animal pour ceux qui préfèrent suivre la lune plutôt que le soleil.

2002 n'aura pas été une année exceptionnelle ; aucun événement digne de figurer dans l'Histoire n'aura perturbé sa banalité : tremblements de terre, inondations, pollutions diverses, violences multiples, tout ce qui ne fait que " pimenter " la vie depuis l'apparition de l'Homme sur la terre. Ainsi notre millénaire fait ses premiers pas. Son début "historique " que j'avais évoqué dans un précédent éditorial, à la suite d'ailleurs de beaucoup de chroniqueurs, partait de 1989 à la chute du Mur de Berlin ; il pourrait bien être repoussé au 11 septembre 2001, date de l'écroulement des deux tours de New York. L'histoire se chargera de confirmer ou d'infirmer l'une des deux thèses, à moins qu'un évènement d'une ampleur sans précédent dans les prochaines années ne change encore la donne : explosion nucléaire, découverte de frères humains sur une autre planète, clonage de l'homme ou tout autre évènement encore plus imprévisible. Le qualificatif qui convient d'ailleurs le mieux au mot avenir n'est-il pas l'adjectif " imprévisible " ; les seuls éléments dont nous disposons à son sujet sont partagés entre crainte et espérance. Crainte de guerre dans le chaudron du Moyen Orient où l'on s'entretue d'ailleurs déjà allégrement mais sans guerre, ou crainte devant le développement du sida qui en un an a fait plus de trois millions de morts dans la seule Afrique et dont les perspectives actuelles prévisibles sont de 55 millions en 2020, toujours pour la seule Afrique. Aussi ne peut-on que faire preuve d'espérance dans l'amélioration des conditions de vie des humains frappés par ce fléau et la découverte des moyens de le soigner d'abord, de l'éradiquer ensuite.

Mais cet équilibre entre crainte et espérance n'est-il pas la question lancinante et éternelle de l'humanité. Durant des siècles l'occident chrétien répétait chaque dimanche : " a peste, fame et bello, libera nos Domine ! ". De la peste, de la faim et de la guerre, libère-nous, Seigneur !. Il est vrai qu'à chaque époque a correspondu un regard différent. Durant des millénaires il y eut des famines, des épidémies (peste et choléra) et bien sûr la guerre. Mais si les deux premiers cataclysmes revêtaient un caractère imprévisible et en tout cas involontaire, il n'en allait pas de même pour la guerre voulue, préparée et exécutée par l'homme. Je sais que selon le principe du ying et du yang, même dans le négatif il y a du positif. Les rivalités françaises, anglaises et hollandaises à l'époque de Charles Quint et de Philippe II de Hasbourg ont été le moteur des découvertes maritimes de l'époque. La rivalité navale et belliqueuse franco-britannique du 18ème siècle a permis de trouver l'argent et donc de créer les moyens techniques dont bénéficieront Cook, Ansons et La Pérouse. Les guerres de 1914/1918 et 1939/1945 seront à l'origine d'un bond en avant des inventions techniques. Mais la partie positive du bilan de ces luttes ne s'équilibre pas avec leur coût financier exorbitant, le solde négatif des centaines de millions de morts et l'étendue des destructions et des ruines. Alors en ce début de 21ème siècle, où tout est pesé selon la nouvelle règle (j'allais dire le nouveau " dogme ") du rapport " qualité prix " un homme raisonnable eut-il encore envisagé froidement la guerre, encore moins la souhaiter. Mais existe-t-il encore des hommes raisonnables puisqu'il devient de plus en plus rare de trouver des hommes, tout court. En un siècle nous avons pratiquement achevé la découverte de notre planète, commencé à nous promener dans le Cosmos, la lune, mars ; nous faisons deux fois le tour de la terre en moins de temps qu'il n'en fallait de l'empire romain à l'empire napoléonien pour relier Rome à Paris ; nous avons le nucléaire, l'électronique, l'informatique, la génétique, mais quels progrès avons-nous fait dans le domaine où le besoin est le plus déterminant : la SAGESSE. Seule la " sagesse " peut éclairer notre réflexion sur nos fins. Déjà il y a près de 2500 ans le philosophe grec Diogène se promenant de jour avec une lanterne allumée dans les rues d'Athènes, répondit à un passant qui l'interrogeait sur l'objet de sa recherche : " je cherche un homme ".

La fin de l'homme d'aujourd'hui se résume en un mot écrit en lettres majuscules : la CROISSANCE dont les deux jambes sont la production et la consommation. Il faut produire, produire toujours davantage et donc consommer, consommer toujours plus. L'homme devient une oie que l'on gave ; assis devant son téléviseur, hypnotisé par une publicité qui lui prouve et le persuade qu'il " doit " consommer, souvent les objets les plus inutiles et dont nous n'avons pas besoin, mais dont on créé le besoin artificiellement. Même l'art est devenu un " produit ", on fabrique des " stars " avec beaucoup de paillettes, de jeux lumineux, on nous impose une soi-disant musique dont la valeur n'est plus reconnue que par le nombre de disques vendus ; la peinture n'échappe pas aux " promotions ", les médias vous persuadent de leur valeur, de leur beauté même si la toile est totalement blanche ou noire. Une boîte de conserve écrasée sous un camion devient une " Œuvre d'art " et il nous faut admirer le " génie créateur " de celui qui la présente. La politique elle-même est devenue un bien de consommation alors qu'elle aurait besoin de " prophètes " au sens biblique du terme, c'est-à-dire non celui qui prédit l'avenir ou énonce des dogmes, mais celui qui juge toute institution et tous actes par rapport à sa fin, à son but. Mais au lieu de prophètes, la politique n'a plus que des politiciens et des partis dont le but principal est d'assurer la permanence de leur pouvoir et de leurs privilèges, sans se soucier de la " sagesse " de l'homme. Aussi le souci principal devient de satisfaire la mode du moment et de ne pas chagriner des " lobbies " puissants. Un exemple entre beaucoup : alors que depuis longtemps la femme est reconnue comme l'égale de l'homme, y compris dans la constitution, on élabore une loi nouvelle sur la " protection " de la femme mise ainsi en parallèle avec les bébés phoques ; puis on établit des quotas au même titre que les quotas laitiers et de céréales. Mais derrière les revendications identitaires, l'inflation des demandes de protection et de normes à l'Etat Providence qui engendrent une multitude de lois, il y a des électeurs. Peu importe si cette inflation de texte ne fait qu'enfoncer davantage l'homme dans son fauteuil, écroulé devant sa télé sans jamais s'interroger sur les questions essentielles de notre passage sur terre et le but de notre existence.

Ce n'est pas par la satisfaction de tous les désirs, même les plus farfelus, que l'homme s'épanouit. Le Bonheur de la vie c'est ce qu'on reçoit sans demander, c'est-à-dire l'affection, la tendresse, l'amitié.

La technique, la science qui ont tant amélioré les conditions de la vie de l'homme ne peuvent apporter de réponse à " tous " les problèmes de l'homme.

Particulièrement depuis un siècle nous pillons et gaspillons les richesses de notre sous-sol, nous construisons des machines, des outils, des voitures, des avions de plus en plus performants mais voués à la destruction à brève échéance ( que sont 10 ou 20 ans par rapport aux millions d'années d'existence de notre planète). Or l'avenir d'un peuple et sa force résident en la confiance qu'il a dans les valeurs qu'il a créé, leur sauvegarde, leur approfondissement. Voulons-nous rester le chimpanzé que Darwin nous a assigné comme arrière-grand-père et rejeter toute dimension transcendante de l'homme. Nous baignons dans une atmosphère d'hypocrisie et de mensonge. J'en citerai un exemple que je choisis hors de notre pays pour ne pas blesser les susceptibilités nationales, bien que les exemples y pullulent. Je citerai la phrase du ministre israélien Yitzhak Shamir qui dans une conférence de presse déclarait : " mentir pour l'Etat est une vertu ". Il est vrai que le mensonge pour une cause devient de plus en plus banal lorsque l'on est prêt à tuer pour elle.

Ces quelques réflexions nous amènent à réfléchir sur le fait que l'homme consacre le plus clair de son temps et le plus fort de son énergie à ses convoitises habituelles : " le pouvoir et l'argent ". Contrairement à ce que pensent bon nombre d'économistes, tout n'est pas évaluable en termes monétaires. On le voit avec le même problème de la pêche, pour gagner plus d'argent on capture plus de poisson jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de poisson. Dans l'éducation où les matières importantes sont connues depuis des milliers d'années _ car contrairement à la légende franco française, ce n'est pas Charlemagne qui a " inventé " l'école _ la priorité était donnée à la formation de l'esprit, mais surtout à un équilibre entre la culture du corps, de l'esprit et de l'âme. Aujourd'hui seul le concret, l'utilitaire, le pratique, tout ce qui débouche sur des avantages matériels est digne d'intérêt et privilégié. On a oublié qu'un homme n'est complet que s'il possède une sensibilité artistique et que le développement de l'intelligence humaine exige aussi l'intervention des " Muses " : Musique, poésie, peinture.

Nous sommes de plus en plus éloignés de ce que Pascal considérait comme les deux piliers de l'être humain : l'esprit de géométrie et la raison du cœur ou esprit de finesse, c'est-à-dire d'une part le rationnel et de l'autre l'irrationnel et le transcendantal.

Que ces quelques pensées soient, au seuil de cette nouvelle année, les graines que nous essaierons de faire germer et de développer en nous, nos enfants et pour ceux qui en sont déjà à ce stade, nos petits enfants.

Le Président et le Conseil d'Administration adressent à tous les Fraterniens et à leurs proches les meilleurs vœux de Santé, Prospérité et Bonheur à l'occasion de la nouvelle année.

Le Président

Michel BRUN

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