frater.jpg (7109 octets)            Association  Fraternité   Saigon  -  Cholon  (Bác Aí)

 

Bulletin N° 17
Mai 1993

 

Mes Chers Amis,

A peine l'encre des vœux 1996 est-elle séchée, que le calendrier me met de nouveau la plume à la main pour adresser à toute la Communauté Fraternienne, les souhaits les plus chaleureux que le Conseil d'Administration et moi-même formons à l'adresse de chacune et de chacun de ses membres. Santé, d'abord et surtout; prospérité, en priorité par le travail, l'emploi étant actuellement le plus grand des biens matériels; enfin, bonheur pour toutes vos familles.

Que nous réserve le Buffle sous le signe duquel nous allons vivre, durant les douze prochaines lunaisons ?. Je ne suis pas prophète et n'ai aucun don pour lire dans le marc du café, ou dans autre chose. Existe-t-il d'ailleurs vraiment une science du futur ? Si oui, comment se fait-il que les " futurologues ", les prophètes et même les savants se trompent si souvent ?. J'en donnerai quelques exemples afin de nous rappeler que la modestie est, avec sa sœur jumelle la " tolérance ", la plus grande de toutes les vertus, selon Confucius.

En 1878, un célèbre professeur de physique d'Oxford, déclare : " Lorsque la Foire Internationale de Paris fermera ses portes, la lumière électrique s'éteindra avec elle et l'on n'en entendra plus parler ".

En 1895, le Président de la Royal Society, physicien britannique, Lord Kelvin déclarait : " Les machines volantes plus lourdes que l'air ne peuvent exister ". Or, deux ans plus tard, le 14 octobre 1897 (bientôt 100 ans), Ader, sur le plateau de Satory, fait décoller pour la première fois, un avion mû par un moteur à vapeur. Mais notre brave Lord continue ses prophéties et en 1897, affirme : "La radio n'a aucun avenir " et en 1900 : " Les rayons X sont une supercherie ".

Continuons avec Einstein, père de la théorie de la relativité (E = MC2) et de bien d'autres découvertes; en 1932, il écrit " Il n'y a pas la moindre indication que l'on puisse obtenir un jour, de l'énergie nucléaire. Cela impliquerait de pouvoir désintégrer l'atome à volonté". C'est le fondateur d'IBM qui, en 1943, déclare : "Je pense que la demande mondiale en ordinateurs n'excédera pas cinq machines ". Déjà, le directeur de la plus grande banque américaine avait déconseillé à Henry Ford d'investir dans la construction des voitures, car " le cheval restera ; la voiture n'est qu'une nouveauté sans lendemain, une lubie".

Quittons la science et l'industrie et entrons en politique. En 1931, le Maréchal Hindenburg affirme : " Hitler ne deviendra jamais chancelier, tout au plus, dans le meilleur des cas, Ministre des Postes".
Au vieux Maréchal allemand fait écho Léon Blum qui, le 8 novembre 1932 écrit dans le "Populaire" : "Hitler est désormais exclu du pouvoir : il est même exclu, si je puis dire, de l'espérance du pouvoir... Entre Hitler et le pouvoir, une barrière infranchissable est dressée et cet échec définitif du racisme est, par excellence, la victoire de la sociale démocratie ". Le lendemain, il enfonce le clou en titrant dans le " Populaire " : " La fin d'Hitler". Or, le 30 janvier 1933, soit onze semaines plus tard, Hitler est nommé Chancelier du Reich par le président Hindenburg.

Je glisse sur le rejet énergique et définitif de l'hypothèse de réunification allemande par notre défunt président, une semaine avant sa réalisation ... Ce " hors d'œuvre " nous met en appétit pour méditer sur la vanité de beaucoup d'affirmations péremptoires et de dogmes établis, lorsqu'ils sont issus essentiellement des certitudes engendrées et élaborées par l'orgueil ; ils nous font faussement croire que nous détenons la Vérité, mettant ainsi un terme à nos recherches et nous empêchant de continuer à tendre vers Elle. Pire, cet orgueil nous pousse à mentir lorsque nous découvrons que nous nous sommes trompés.

J'ai retrouvé une interview de Sartre au " Nouvel Observateur " en 1980, peu avant sa mort. Benny Levy le questionne : " Tu m'as dit un jour : j'ai parlé du désespoir, mais c'est de la blague ; j'en ai parlé parce qu'on en parlait, parce que c'était à la mode, on lisait Kierkegaard". Réponse de Sartre : "C'est exact". Plus loin : " Je n'ai jamais eu d'angoisse ; ça, c'est des notions clés de la philosophie de 1930 à 1940 ... Ça ne correspondait pour moi à rien ". Benny Levy continue : " En d'autres temps, n'aurais-tu pas dénoncé ce recours à la morale comme formel, ou pis, bourgeois ! ". Réponse de Sartre : " Oui, j'aurai rigolé. J'aurai parlé de morale bourgeoise, bref, j'aurai déconné ". Benny Levy poursuit : " Quand tu as écrit " Réflexions sur la question juive ", tu as bien réuni de la documentation ? ". Réponse "Non". Cette fois, Benny Levy parait tout de même stupéfait " Comment, non ? ". Réponse : " Non, jamais. J'ai fait la question juive sans aucune documentation, sans lire un livre juif ".

C'est la liquidation presque totale d'une vie consacrée à écrire le contraire de ce qu'on pense " pour ne pas désespérer Billancourt ". Pendant un quart de siècle, toute une jeunesse a lu Sartre, a cru Sartre, car Sartre ne pouvait pas mentir. Il ne pouvait pas mentir quand il écrivait que c'était la Corée du Sud qui avait attaqué la première la Corée du Nord. Il ne pouvait mentir quand il affirmait que les camps en URSS " ne pouvaient pas exister " et vouait aux gémonies Camus qui lui apportait des témoignages. Ce n'est qu'une semaine avant sa mort qu'il regrettait de n'avoir plus le temps de " tout effacer ".

1980 : fin du mensonge, mais quel beau prologue à sa continuation sous une autre forme de 1981 à 1994 ; ainsi le mensonge dans la philosophie entraînait le mensonge en politique et débouchait sur la "désespérance de Billancourt " dans laquelle nous baignons aujourd'hui au milieu des illusions perdues. Vous me direz que perdre ses illusions ne date pas d'aujourd'hui. Durant des décennies, l'homme a cru être le centre d'un monde qui tournait autour de lui; Copernic nous démontra notre erreur et nous éjecta de ce centre de l'univers, nous faisant prendre conscience de notre rôle de simple et vulgaire girouette tournant sur elle-même. Cependant, nous avions encore la certitude de notre " humanité ". Les hommes en se rasant chaque matin heurtaient la pomme d'Adam, seul lien qui les reliait à leur grand ancêtre et leur faisait souvenir de leur faiblesse en face du sexe dit - bien à tort - faible.

Survint le grand Darwin qui nous déposséda de notre humanité, en nous expliquant que nos grands-parents étaient des singes, nos arrière-grands-parents des souris, et nos arrières arrière-grands-parents des choux; à partir de là, les pistes se brouillent et on hésite entre les algues, les crustacés, les coquillages.
Et voici qu'aujourd'hui, on nous propose un " nouveau bond en avant " de la science.

Un conseil, si vous êtes debout, asseyez-vous et accrochez votre ceinture à votre fauteuil... ! Matt Ridley, dans le livre qu'il vient de publier en Angleterre " The origins of virtue " nous affirme que " la base psychologique de tout ce qui est moralement attrayant dans la nature humaine - l'altruisme l'amour, la générosité, la sympathie, la reconnaissance, la gentillesse, la fidélité, le tact, - bref, la " Vertu ", pour adopter le mot de son titre, (mot que l'on n'ose même plus chuchoter en cette fin de XXème siècle, alors que ce qu'il recouvre est considéré comme ridicule rétrograde, voire anormal) - donc cette " Vertu " serait également un produit issu du même processus évolutif par sélection naturelle ". Il serait même possible de démontrer "mathématiquement ".... " comment la justice, la loyauté, la compassion peuvent naître de la boue, produit d'une guerre aveugle entre les gènes ".

Ainsi, si vous êtes fidèle, n'allez surtout pas imaginer que vous y êtes pour quelque chose. C'est votre gène de la fidélité, juste à côté du gène avec lequel on fait le maïs transgénique qui résiste aux désherbants, à la chenille et à l'ampicilline, c'est ce gène qui vous maintient dans le droit chemin... Le troisième millénaire sera celui des gènes... Vous voudrez faire original, avoir un bébé aux yeux rouges, rien de plus facile. Vous vous adresserez à la banque des gènes qui vous trouvera - moyennant finances - le gène de vos rêves... A quand le gène de la bonne humeur et de l'optimisme qui transformera nos médias et mettra fin à notre immersion à longueur d'émission dans des catastrophes présentes, passées et futures, ces dernières étant décrites comme vraisemblables quand elles ne sont pas affirmées comme certaines...

Mais je rêvais.. Je rouvre les yeux, j'ouvre la télé et je retrouve la " colère "?. L'avez-vous remarqué ce rôle de la colère dans nos médias : les cheminots expriment leur colère, la colère gronde chez les médecins, les routiers clament leur colère. La colère est générale, elle est profonde, elle est violente, elle est froide, digne... et vous ? Etes-vous aussi en colère ? Peut-être l'êtes-vous de ne pas l'être ?.

Quant à moi, quelquefois ma colère me donne envie de balancer le poste par la fenêtre ; mais mon réflexe d'agent ou de produit de la société de consommation me rappelle que ma télé, c'est plus de 5.000 Francs, un demi  mois de retraite... Alors ma colère tombe, j'éteins le poste, descends dans mon jardin en bordure de Rance, et je n'ai pas longtemps à attendre mon petit rouge-gorge : il approche, sautille en continuant d'approcher, s'arrête et me regarde. Si je lui dis que " les hommes sont fous ", il me lance dans son ramage une trille en penchant sa petite tête : " Y a longtemps que je le sais ! ". Et il remonte dans son chêne, regardant ce monde de haut. Lui n'attend pas les lendemains qui chantent ; il chante le jour présent...
Essayons de faire de même...

Le Président
Michel BRUN

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