frater.jpg (7109 octets) Association Fraternité  Saigon - Cholon (Bác Aí)

 

Bulletin N° 18
Novembre 1997

 

Mes Chers Amis.

Depuis notre dernier bulletin, l'actualité n'a cessé de fournir des thèmes susceptibles d'alimenter un éditorial et notre réflexion. Au cours des dernières années. j'ai souvent abordé des sujets d'une coloration plutôt pessimiste, puisqu'ils mettaient en relief des défauts, voire des fautes ou des vices qui assaillent notre société, s'y développent et concourent à sa décadence morale.

Or cette fois, si j'avais à donner un titre à mon propos. ce serait : " Vers l'espoir ".Tout d'abord, nous venons d'assister entre le 18 et le 25 août à un phénomène que les meilleurs faiseurs de pronostics n'avaient pas prévu. Les journées mondiales de la jeunesse, organisées cette année en France, qui devaient rassembler selon les meilleures prévisions 300 à 400 000 participants, se transformèrent en un véritable raz-de-marée de plus d'un million de jeunes venus du monde entier. La joie, l'enthousiasme, la solidarité, la ferveur partagée a fait découvrir aux adultes incrédules qu'il existait encore des valeurs auxquelles il n'est pas rétrograde de croire que l'on pouvait sortir de la morosité, de la médiocrité, de la vulgarité et lutter contre la désintégration morale sans honte ni fanatisme. Ces jeunes ont clamé leur joie et leur espérance dans un monde où le bonheur n'est pas conditionné exclusivement par l'argent. le sexe et la politique. Ils nous ont placé ainsi devant les éternelles questions fondamentales sur la spiritualité, la morale, le sens de la vie, l'amour... Même si les réponses peuvent être diverses. L'important n'est-il pas de nous rappeler que ces questions existent, qu'elles se posent et continueront de se poser jusqu'à la fin des temps.

Il y eut des moments où, loin des hystéries collectives des rassemblements habituels au service de la force, de la violence, de la haine ou d'idoles intronisées pour et par l'argent, on assista à ce spectacle bouleversant de cette foule innombrable, qui se taisant durant plusieurs minutes de recueillement, nous fit " entendre le silence", ainsi réhabilité dans sa puissance d'initiation et d'invitation à la méditation et à la " descente en soi ".Quelle que soit l'appartenance philosophique ou confessionnelle de chacun on ne peut rester indifférent en face de Jean Paul II. Certes il dérange lorsqu'il défend ses convictions, borne la voie par des repères qui balisent mais ses propos choquent ceux qui sont habitués aux hommes politiques pour lesquels il n'y pas de réélection - donc plus de pouvoir - sans concessions, revirements ou double langage. Pour lui c'est " l'amour et le service qui donnent un sens à notre vie et la rendent belle".

En définitive, par ce Pape et ces jeunes rassemblés, c'est peut-être le début d'un remue-ménage dans la hiérarchie des valeurs de notre siècle qui s'amorce. Après s'être acharné à ridiculiser, détruire, éradiquer les anciennes valeurs élaborées par des millénaires de confucianisme, bouddhisme, judaïsme, christianisme, notre siècle désemparé a voulu les remplacer par la pacotille de celles enrobées de clinquant, baignant dans l'assourdissement des décibels pour s'étourdir et ne plus entendre ni la voix des autres ni sa propre voix intérieure, prônant le faux, déifiant le sexe et l'argent, poussant la haine par le film et la chanson pour mieux l'utiliser dans les faits et dans les mœurs, érigeant l'hypocrisie et le mensonge en système politique. Ce siècle a donné une telle importance au " paraître " que les hommes en oublient "d'être" et de réfléchir sur cette réalité, ses conséquences et ses interrogations.

Or, voilà que tout à coup, on réentend les mots de Vérité, d'Amour, et d'entraide, de sacrifice et de don de soi, de désintéressement et de partage de réflexion, avec son complément indispensable : le silence, on retrouve cette interrogation sur le "sens de la vie".

Puis voici soudain, à quelques jours d'intervalle, que le destin frappe deux fois, comme s'il voulait nous réveiller et nous inciter dans le même sillage, par deux exemples concrets et combien médiatiques à compléter, approfondir et éclairer notre réflexion - Lady Diana - Sœur Teresa. Moins d'une semaine après la fin de ce rassemblement des jeunes, le monde entier était frappé de stupeur par la tragique disparition de la Princesse de Galles, Diana.

La nature en avait fait une beauté, le mariage une princesse, son divorce une victime, les médias une star, sa mort tragique la transforme en idole. Nous assistons en effet à une quasi-déification puisque si l'on en croit le journal " The Independant ", elle serait apparue à des dizaines, voire à des centaines de personnes venues signer le registre de condoléances. Ainsi se créé le mythe. Mais qui était Diana ? Quelle distance entre soit " être " et son " paraître "?. Belle, intelligente indubitablement femme de cœur, elle séduit le prince hériter de la couronne d'Angleterre. Intégrée dans la Monarchie par le mariage, elle va ajouter, aux atouts de la beauté, de la jeunesse et du cœur qui la rendent déjà populaire auprès des foules du monde entier grâce aux images projetées jusqu'aux extrémités de la planète, celui de princesse.

De tous temps et en tous pays, les belles princesses ont fait rêver. C'est que nous entrons là dans le mystère de la Monarchie qui représente pour les peuples la stabilité, la pérennité, j'allais dire l'éternité puisque c'est le seul régime où il n'y a jamais vacance du pouvoir, où la continuité est assurée. Et puis le roi fils du Ciel en Asie régnant " par la grâce de Dieu " en Occident, est en quelque sorte une émanation de la divinité. De plus, par devoir et souvent par sentiment, il est " père " de son peuple. Tout cela fait de la Monarchie une institution qui sacralise tout ce qui la touche, sanctifie ceux qui lui appartiennent, et lui confère une force métaphysique. Enfin, par ses ors, sa richesse, son luxe, ses rites, elle apporte cette part de rêve dont tout être humain et tout peuple a besoin. N'est ce pas Jean Jaurès, peu soupçonnable de royalisme, qui parlait du " charme séculaire de la Monarchie " et Charles de Gaulle vantant auprès d'Alain Peyrefitte " le meilleur régime pour la France " et regrettant que " malheureusement on ait cassé la machine ". Diana saura utiliser les atouts que lui confère son appartenance royale pour donner libre cours à son cœur en portant un intérêt sincère à la misère, à la pauvreté et aux grandes causes humanitaires. Mais voilà qu'entraînée dans le tourbillon de l'argent et les futilités, grisée par sa réussite et sa célébrité qui va lui faire perdre la maîtrise d'elle-même, n'ayant plus l'appui de celui auquel elle avait donné sa confiance et dont la trahison la déstabilisera, elle va s'étourdir dans les plaisirs et amours illicites. Prise dans l'engrenage des médias pour lesquelles elle est devenue une star d'exception, d'une rentabilité financière qui la classe dans le peloton de tête des valeurs à la Bourse des magazines, elle servira de caution et de faire-valoir à des aigrefins pour lesquels des photos d'enfants affamés du Tiers-monde se vendent très bien et permettent à ceux qui en assurent la diffusion de fêter leurs contrats au caviar et au champagne.

Un exemple du haut niveau moral d'une certaine presse nous sera donné dans un journal sérieux de la capitale, qui à deux semaines du drame, publie en gros titre "le baiser numérique de Lady Diana" : deux grandes photos et les commentaires nous démontrent la satisfaction et le trucage maladroit du cliché. Mais le faux se vend très bien et est publié pour du vrai. Cependant la responsabilité des médias est partagée par ceux qui sont leurs clients. Lecteurs, amateurs de sensations fortes, de clichés cruels ou scabreux, véritables "voyeurs" qui achètent et participeront ainsi à leur façon au destin tragique de Diana.
Les monceaux de fleurs accumulées durant ces jours de deuil ne sont pas encore fanées que le destin frappe une nouvelle fois avec la disparition de Mère Teresa. Quel contraste avec Diana. Née dans une famille paysanne elle entre à 18 ans au couvent. Envoyée en Inde elle enseignera d'abord la géographie dans un collège religieux de Calcutta. Le 10 septembre 1946 lors d'un voyage en train elle se sent irrésistiblement appelée à s'occuper " des plus pauvres parmi les pauvres". Deux ans plus tard, ayant obtenu l'autorisation de ses supérieures, elle fonde un nouvel ordre religieux dont la raison d'être sera de s'occuper de la plus profonde misère.

Elle multipliera alors les écoles, les dispensaires, les léproseries; elle créera la "Maison du cœur pur " pour les mourants : ils ont vécu comme des bêtes qu'ils meurent au moins comme êtres humains". La Congrégation s'étend rapidement à plusieurs villes de l'Inde, puis dès 1965 en Amérique du Sud, au Venezuela. Mère Teresa entreprend des voyages en Europe et en Amérique pour persuader les hommes de pouvoir et d'argent "qu'eux aussi doivent faire quelque chose". A la remise du prix Nobel de la Paix qu'elle reçoit en 1979. elle demande d'annuler le banquet traditionnel pour consacrer à ses pauvres les 7 000 dollars prévus. "Si chacun commence à partager, à aider, à servir son prochain, alors la paix viendra" affirme-t-elle.

Des livres vont ensuite lui être consacrés, même un film. Mais elle ne succombera pas au vertige médiatique, s'effaçant toujours devant la source de son don de soi, sa foi puisée dans l'Evangile par la prière. Elle ne craint pas la mort qui " n'est pas autre chose que rentrer chez soi dans la Maison du Père ". On lui reprochera d'aider les pauvres sans s'attaquer aux causes de la pauvreté. Mais pendant que les critiques discutent, dissertent sur les causes de la pauvreté, qu'ils les analysent, les pauvres meurent. Ce dont les pauvres ont besoin, c'est moins de débats et de théories, que surtout d'amour et d'aide à franchir le cap de l'assistanat afin de parvenir à l'autonomie.

Son rayonnement est tel qu'elle s'éteindra à la tête d'une congrégation qui a désormais 4 600 religieux et religieuses dans 550 Maisons et 126 pays et cela à une époque où l'on ne trouve plus de vocations religieuses.
Quand le temps aura effacé tous les noms qui brillent au firmament de nos magazines, de nos journaux et se projettent à la télé, il restera le sien à côté de saint Vincent de Paul, Saint François d'Assise, Sainte Thérèse qu'elle avait choisie pour patronne et modèle, et Gandhi libérateur de l'Inde par la " non-violence ". Elle aura été dans notre fin de siècle une lumière non pas qui brille et s'éteint, mais qui illumine puis embrase. C'est sur cet espoir que je conclurai en sachant que les braises répandues nous aideront à réveiller en nous le feu qui sommeille en tout homme, mais que nous laissons trop souvent devenir cendre froide, au lieu de ranimer la flamme qui éclaire le sens de notre vie, purifie nos choix et remet en marche notre pouvoir d'escalade vers les sommets.

Méditons l'affirmation du Dalai Lama : "l'homme reste pour lui-même l'animal le plus destructeur et est lui-même responsable du désordre de l'humanité ".
Apportons donc notre contribution à la remise en ordre de notre société en étant de ceux qui participent à sa reconstruction et à son amélioration, en se laissant embraser par le feu allumé lors des journées de la jeunesse et en mettant en pratique, l'humilité, l'esprit de sacrifice et de don de soi de Mère Teresa.

Le Président
Michel BRUN

 

NOS DEUILS
 

Le 21 juin 1997, Madame PHAM THI QUE est décédée au Québec. Elle avait, durant plusieurs années, enseigné à Fraternité le Français dans les classes de second cycle.
Professeur également à la Faculté de Lettres de Saigon, elle était la fille de Monsieur Pham Van Luoc, que j'avais réussi à faire placer par le Conseil d'Administration après la mort de Monsieur Tran Boi à la Direction du Collège. La sincère et profonde amitié que j'avais pour Monsieur Luoc s'était, après son décès, reporté sur sa fille.
Excellente enseignante, compétente, dévouée, très attachée à ses élèves, elle devait s'expatrier avec son époux, Monsieur Bui Van Ty et ses enfants, au Canada.
Dans sa dernière lettre, elle me conseillait de lire le livre qu'elle venait de découvrir " Le livre tibétain de la Vie et de la Mort " de Sogyal Rimpoché.
Je renouvelle en mon nom et au nom de toute l'Association, à Monsieur Ty et à sa famille, l'assurance de notre profonde tristesse et de notre plus affectueux souvenir.

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