frater.jpg (7109 octets)          Association  Fraternité  Saigon  -  Cholon  (Bác Aí)

 

Bulletin N°13
Janvier 1995
 

 

Mes Chers Amis,

1994 s'éloigne; l'Occident est déjà entré dans la dernière demi-décade du millénaire et l'Orient s'apprête à se placer sous le signe du Cochon pour les uns, du sanglier pour les autres. L'année écoulée n'aura pas été de celles pour lesquelles on s'écrie avec le poète "Oh ! Temps suspends ton vol ! ".
Rwanda, Bosnie, Algérie, Tchétchénie s'inscrivent en lettres de sang sur les feuillets arrachés du calendrier. Voilà, en une ligne, l'international triste de l'année résumé.
La paix au Moyen Orient, l'amélioration de la situation au Viêtnam, la sortie de la crise, voilà un concentré de résumé optimiste du 1994 international.
Pour le national, le côté sombre s'appelle "Affaires" pour la morale, 'Chômage" pour l'économique, "Sans logis' pour le social.

Mais, comme je le fais chaque année, c'est dans l'optique de l'orientation de notre action future, de son efficacité, de sa rectitude, de sa valeur exemplaire et éducative que j'ai cherché le filigrane de l994. C'est, sous cet anale que s'est imposé comme thème le décès d'Antoine PINAY. Pourquoi le choisir parmi les milliers qui ont gagné leur dernière demeure cette année ?
Pour les jeunes de 1995, Antoine Pinay est un nom de manuel d'Histoire ; pour les meilleurs en cette matière, ce fut un homme politique, Président du conseil, Père du Franc Lourd. Pour ceux qui ont traversé l'époque de sa carrière politique, c'est un des rares modèles représentatifs de l'élite française de ce siècle.
D'abord, élève au collège des Pères maristes, il a la chance de s'instruire dans un contexte éducatif où l'acquisition des valeurs morales de droiture, d'honnêteté, de charité chrétienne, de discipline, d'esprit de sacrifice qui façonne les hommes, va de pair avec l'instruction et même prime sur elle.

A 23 ans c'est la terrible, mais combien efficace école de la guerre de 1914-1918, durant laquelle il sera blessé. La paix le ramène dans la petite entreprise familiale où il montrera ses qualités de gestionnaire : travailleur, honnête, économe, social, pragmatique, rebelle à toute idéologie sectaire et à toute démagogie. D'abord il ne voudra pas se lancer dans la politique et c'est à son corps défendant "qu'on le fera" candidat et qu'il sera élu "sans faire campagne". Il ne cessera de critiquer la soif du pouvoir des politiques et leur "carriérisme".
Durant les longues grèves qui sévissent, on le découvre homme d'écoute, de concertation; par des dialogues soutenus où il montre à la fois son esprit de justice et sa fermeté, il met fin au mouvement.
Sans diplôme - il n'a pas le baccalauréat - il possède du "bon sens", ce qui manque le plus aujourd'hui, même et surtout parmi beaucoup de diplômés dont le degré de spécialisation a fait qu'ils sont devenus remarquables techniciens dans un domaine, mais sombrent dans une quasi-nullité en dehors de leur secteur. L'œil surdéveloppé a éteint l'autre : ils sont devenus borgnes.

Sa probité exemplaire lui impose de toujours considérer ses actions sous l'anale de l'équité. Son bon sens l'éloigne de cette égalité utopique, qui par démagogie politicienne veut nous faire oublier que selon le mot de l'Evangile "Il y aura toujours des pauvres parmi nous" constatation à laquelle fait écho la philosophie chinoise "Lorsque les gros maigrissent, les maigres meurent". C'est par l'équité que les déséquilibres doivent être atténués, les différences et les inégalités prises en compte.

Devenu Président du Conseil, c'est en homme de bon sens qu'il gère l'entreprise "France", comme il le faisait pour son foyer et son usine par l'équilibre des recettes et des dépenses ("On ne peut dépenser plus que l'on gagne"), par l'épargne, l'esprit d'économie dont il donne l'exemple éclatant en constituant un ministère de 17 Ministres alors que notre République en a connu dépassant les 50. Père du "Franc Lourd", il obtient par la confiance une baisse générale des prix de 10 % qu'aucun gouvernement n'a pu par la suite réaliser.
Son ascendant et son prestige seront tels que tous les hommes politiques durant les 30 dernières années, et quelque soit la ménagerie politique à laquelle ils appartiennent, viendront faire leur pèlerinage et demander conseils auprès de l'homme au chapeau rond, l'ermite de Saint Chamond.

Si j'ai choisi Pinay comme thème essentiel de cet éditorial, c'est parce que je crois que son exemple peut devenir un modèle à l'échelle humaine dans le droit fil de tout ce que j'ai essayé d'inculquer dans la partie enseignante de ma carrière et de pratiquer dans le reste de ma vie.
De plus à la différence d'un de Gaulle dont la figure attire l'admiration et nourrit notre besoin de rêve, mais nous aveugle en nous éblouissant, celle de Pinay est davantage à notre portée, à notre niveau et pour peu qu'on regarde, réfléchisse et le veuille, devient plus qu'un exemple, un modèle accessible. Si sa qualité maîtresse est le bon sens, la seconde qui lui est jumelle est la rigueur.
Rigueur dans la tenue : simplicité et correction toujours parfaite dans le maintien, politesse et courtoisie dans ses contacts, modestie, détestant le clinquant.
Rigueur dans la pensée et le caractère : ennemi des dogmes, pragmatique, à l'écoute des autres, acceptant le dialogue et poilé à la conciliation par la persuasion, mais possédant l'esprit de décision, il rassemble tous les éléments constitutifs de l'autorité au sens efficace et noble du terme.
Puissions-nous à la lumière de ce portrait et des valeurs qu'il incarne vérifier l'état dans lequel nous nous trouvons et nous poser les questions qu'entraînera le constat qui s'imposera après cet examen de conscience.
A l'appui de ce constat, j'emprunte à Marielle Goitschell, figure de proue du sport français, un certain nombre de citations extraites d'un article publié cette année et dont le titre est "Nous sommes tous des lâches : ... Les passables s'entendent avec les médiocres... Personne n'accepte d'affronter les questions en face... Car la voici la vraie question : pourquoi ne "formons-nous" plus notre jeunesse ? ... La défaite de la France à Lillehammer n'est pas celle du muscle ou du matériel, c'est un défaut de vertu".

Dans le même registre, c'est Guy Béart qui écrit "nous sommes conscients de vivre dans un monde... qui frise maintenant la grande débandade... Pourquoi ? parce que le système contribue à créer puis à satisfaire des besoins et des plaisirs immédiats ; il conduit à l'abaissement de soi dans une séduction maligne, une arnaque, une "médiocrisation" généralisée, admise, et non au dépassement de soi avec l'effort et l'idéal. Aux politiques, en particulier de donner l'exemple au lieu de ressembler aux plus médiocres de leurs électeurs, qu'ils se comportent en adultes responsables et non en enfants avides de bonheur momentané dans un monde déjà infantilisé, ainsi au lieu de sarcasmes de zizanie, du désespoir renaîtront le rire, la fraternité, la joie".
Enfin parmi les conclusions, de l'équipe du dépouillement du questionnaire Balladur aux jeunes, je lis "Le système éducatif est désigné comme le principal responsable des difficultés d'insertion... Les enseignants ne donnent pas envie d'apprendre"...

Nous sommes en face du même constat quelque soit la profession, l'âge et le niveau social.
Voilà mes chers amis, quelques pensées jetées sur le papier pour alimenter votre réflexion. L'an dernier, je vous disais qu'il fallait peu de levain pour faire lever une pâte, j'y ajouterai qu'il faut peu de sel pour rendre de la saveur à un plat insipide... Vous me reprocherez de ne pas sortir de la cuisine... mais celle-ci n'est-elle pas un élément important de civilisation et de culture,... et de circonstance à l'aube de l'année du COCHON...

Tous les Membres du Conseil d'Administration se joignant à moi pour vous souhaiter ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers douze mois de prospérité, de santé et de bonheur.
Avec mes plus affectueuses pensées à tous.

Le Président
Michel BRUN

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