Mes chers Amis, 1993 a sombré sous des pluies diluviennes et dans les inondations
de régions entières. Ainsi le dernier feuillet du calendrier se sera tourné sur une
catastrophe naturelle; celle-ci est venue s'ajouter à toutes les autres qui ont jalonné
l'année : une Yougoslavie qui continue son sanglant éclatement, une Somalie où la mort
par le feu a remplacé celle par la faim, le chômage qui frappe tant de populations et
n'épargne pas même certains Fraterniens, le retour des luttes scolaires autour d'un
débat d'un autre âge. Mais à quoi bon continuer une litanie dont les médias saturent
nos oreilles, nous brouillent la vue et risquent de pousser beaucoup au découragement si
nous nous laissons entraîner par le courant au lieu de réagir pour le remonter. Les
thèmes pour "philosopher" à l'aube de la nouvelle année sont donc si nombreux
qu'il est difficile de choisir.
Sur le cahier encore vierge de 1994, mes premières réflexions porteront sur ce que je
considère comme le problème essentiel, clé des solutions aux autres : l'Education. En
effet, si le chômage est le souci prioritaire actuellement, il n'est pas une cause mais
une conséquence. Pourquoi des pays comme le Japon, Taiwan, Singapore, la Malaisie,
Hongkong ne connaissent-ils pas ce problème? Les réponses affirmées, péremptoires sur
l'exploitation des masses, des enfants, des femmes, l'absence de lois sociales, des
congés sont une façon de détourner son regard de la réalité pour tous ceux qui la
connaissent mais ne veulent pas la voir. Il est évident que quelques lignes sont
insuffisantes pour faire le tour d'un problème qui exigerait des volumes. En Asie, on
estime qu'il y a deux façons de partager un gâteau fait pour cinq personnes, alors qu'il
y en a dix autour de la table. Ou on le coupe en cinq et les cinq autres regardent les
premiers se lécher les doigts ou l'on répartit entre dix en diminuant les parts de tous.
C'est une évidence que peu de gens veulent regarder en face. Ensuite, il faudrait
examiner pourquoi toute augmentation de salaire dans ces pays se traduit par un
accroissement de l'épargne, alors que chez nous, elle se traduit par un surplus de
consommation. Différence de mentalité, de conception impensable en France, dit-on. Et
pourquoi?. Il y a cinquante ans, il y avait chez nous une solidarité familiale "à
l'asiatique" qui a disparu avec l'éclatement de la famille, la libération des
murs, la télévision et l'écroulement de l'éducation. Nous sommes en face d'un
paradoxe. Lorsque l'enseignement dépendait du Ministère de l
" Instruction publique ", il existait une véritable éducation
complétant celle de la famille : morale, civisme avec ses succédanés, politesse,
courtoisie, solidarité, propreté, honnêteté. Depuis que l'appellation est devenue
Ministère de "l'Education", il est courant d'entendre des enseignants affirmer
que c'est le rôle de la famille et pas le leur, qu'ils ne sont là que pour assurer
l'acquisition du savoir. Double démission : famille - école. Il y a un grand nombre
d'enseignants qui, heureusement, essaient de lutter contre le mauvais courant, mais devant
la toute puissance de la télévision, le renoncement presque général, ils capitulent ou
souvent tombent dans la déprime.
Toutes les solutions essayées pour inverser cet état de choses seront inutiles tant
qu'elles s'attaqueront seulement aux effets avant de traiter les causes. Pour améliorer
l'éducation, le refrain syndical est : " manque de moyens ! .... des
crédits ". Bien sûr, il faut des crédits, mais si l'on fréquente les
responsables des établissements, on réalise la masse d'argent gaspillé parce qu'il n'y
a plus de responsabilisation des élèves : fenêtres brisées, portes cassées,
graffitis, chaises et bancs neufs détruits, robinets démontés, vols de toutes natures.
Quant aux maîtres, que dire non seulement de la formation, mais tout simplement de leur
" éducation ". Comment des élèves peuvent-ils apprendre à avoir
une "tenue" d'homme civilisé si leur enseignant est lui-même débraillé, mal
rasé, voire mal lavé, vulgaire. Edmondo De AMICIS écrivait en 1908
" L'éducation d'un peuple se juge d'après son maintien dans la rue : où tu
verras la grossièreté dans la rue, tu es sûr de trouver la grossièreté dans la maison
et à l'école ". Ouvrons les yeux dans la rue... On organise des manifestations
de masse pour la défense d'une école laïque que personne n'attaque, mais que beaucoup
souhaitent rendre efficace, comme elle le fut à l'époque où les instituteurs étaient
les "hussards de la République". Les valeurs de base étaient non seulement
enseignées, mais inculquées par la pratique et l'exemple. On a critiqué l'époque des
robinets qui coulent et de baignoires qui fuient. Aujourd'hui, personne ne manifeste quand
des manuels scolaires donnent comme problème l'étude d'un braquage de banque ou
l'horaire détaillé de "Comment tuer une femme très riche". En recevant des
spécimens de manuels de français langue étrangère, j'avais déjà été stupéfait de
trouver pour des débutants des phrases telles que "T'as vu la môme" ou
"Les flics tabassent les immigrés", mais bien qu'aussi triste, c'était moins
grave. Quand la télévision braque sa caméra sur une enfant qui nous explique que son
institutrice va faire grève parce que "On prend l'argent de son école pour le
donner à l'école des riches", quelle image reste-t-elle sur les motivations et les
capacités éducatives de trop de maîtres.
Il est très triste après une carrière totalement consacrée à transformer des jeunes
qui m'étaient confiés, en "hommes" et surtout en "honnêtes hommes"
au sens du XVII ème siècle, de regarder impuissant cet effondrement.
Vous tous qui avez vécu et vous souvenez de la " tenue" des élèves à
Fraternité, des remarquables cahiers des classes primaires qui avaient pour modèles des
tableaux de classes où les institutrices respectaient encore les pleins et les déliés,
où la propreté d'un cahier était notée, vous savez que la formation à la
" tenue ", à une discipline, une morale sont avec le travail, les
bases de l'éducation.
Voilà mes chers amis, un bavardage "en famille" avec vous. Vous le trouverez
peut-être un peu austère et pessimiste, mais il est des moments où le cur a
besoin de s'épancher, car si l'on ne peut plus agir, il n'est pas inutile d'encourager
ceux qui le peuvent à réagir, même si leurs moyens sont modestes et limités et leur
cadre restreint. Il faut peu de levain pour faire lever une pâte, soyez ce levain.
Et puisque nous entrons dans l'année du CHIEN, c'est de tout cur, avec les membres
du Conseil d'Administration que je vous adresse mes vux les plus affectueux pour
votre santé, votre prospérité et votre bonheur à tous.
Le Président
Michel BRUN
COMPTE-RENDU DE LA FETE-ANNIVERSAIRE
(du 13 juin 1993)
Nombreux étaient les Fraterniens venus pour participer à la
fête du 13 juin 1993 au Restaurant Chinatown Belleville. Triple anniversaire : 85ème de
la création du Lycée Franco-Chinois, 5ème de la création de notre Bulletin, 70 ème
anniversaire de notre Président. Monsieur Brun prend la parole et remercie les
participants d'être venus si nombreux. Il parle de ses espoirs de rendre Fraternité à
sa vocation première de lieu de rencontre entre les trois cultures chinoise, vietnamienne
et française. Utopie ou Rêve, l'avenir le dira !
Il remercie toute l'équipe du Conseil d'Administration et du Bulletin, Tran Thu Sanh,
notre jeune et dynamique Vice-Président, Dejean de la Bâtie, notre Secrétaire
Général, La Christophe, Trésorier-Adjoint et Monsieur Amathieu, Trésorier, absent qui
s'est excusé de ne pouvoir venir et dont Monsieur Brun rappelle le dévouement lorsqu'il
était Président du Conseil d'Administration à Saigon, To Thi Tuyen si efficace dans
l'élaboration du bulletin. Enfin un remerciement tout spécial à notre peintre
dessinateur Christian Fondacci. Monsieur Brun souligne avec quel plaisir, à chaque nouvel
an, nous avons pu admirer le dragon, le singe, le coq dessiné par Christian,
" les Fraterniennes", en bonnes cuisinières, savent combien il est difficile de
retirer les plumes d'un poulet, alors imaginez comment il est encore plus difficile de les
planter toutes sur un coq... ".
Notre Vice-Président Tran Thu Sanh après quelques mots, passe la parole à Christian
Fondacci. Celui-ci évoque ses souvenirs de 1968-1975 à Bac-Ai, dans ce contexte de
guerre; ayant quitté le lycée Marie Curie, c'est désabusé qu'il arrive dans son nouvel
établissement. C'est alors qu'il découvre progressivement cet état d'esprit différent,
convivial, fraternel tant parmi ses camarades que dans l'équipe des enseignants de
plusieurs nationalités soudés autour de Monsieur Brun, dans son uvre d'Education.
Il rappelle comment il fut frappé par la détermination avec laquelle Monsieur Brun
demandait aux jeunes de relever la tête devant les difficultés et leur insufflait
l'esprit de combativité dans les mauvais moments de la vie. Il lit ensuite le poème
"L'Aveugle et le Paralytique" de Florian qui, à ses yeux représente l'esprit
qui anime Fraternité :
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en
sera plus légère.
Le bien que l'on fait à son
frère
Pour le mal que l'on souffre
est un soulagement
Confucius l'a dit, suivons
tous sa doctrine
(..)
Enfin le "Joyeux Anniversaire" : gâteau, champagne, cadeaux, un tableau de
Fraternité Peint par Christian Fondacci, un chèque pour l'achat et la pose d'un
chauffe-eau à accumulation dans la maison de Bretagne de notre Président. Monsieur Brun,
très touché, remercie ensuite tous les Fraterniens de cette délicate attention ; puis
il eut un mot particulier pour son épouse, rappelant qu'il n'avait encore jamais eu
l'occasion en public de parler d'elle, alors quelle fut par sa discrétion, dans
l'ombre, un élément déterminant de tout ce qui s'est fait à Fraternité.
" Dans tous les moments pénibles, difficiles, elle était à mes côtés,
calme, discrète, mais combien efficace par son jugement, ses conseils, son
affection ".
Notre Président se fait un plaisir d'aller de table en table, une coupe de champagne à
la main, trinquer avec les Fraterniennes et Fraterniens. Ambiance joyeuse jusque tard dans
l'après-midi.
DEJEAN